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JET D’ENCRE

Enfants des lieux bannis - des banlieues en saut d’obstacle

Rost

dimanche 4 mai 2014, par Doszen

Ce préambule, un peu long, je l’avoue, n’a d’autre but que d’expliquer pourquoi j’ai gardé ce "Enfants des lieux bannis" du rappeur ROST sur mes étagères pendant deux ans sans en ouvrir les pages. Peut-être ai-je aussi été influencé par les avis assez mitigés de mes amies de "Palabres autour des arts" lorsqu’elles ont chroniqué ce livre en septembre 2012. Peut-être.

J’ai toujours un peu de mal avec les autobiographies. Ce ne sont pas les lectures que j’affectionne le plus. Je dirais même que j’ai fortement tendance à les éviter. Trop souvent suintent de ces "parcours de vies" – même exceptionnels – un nombrilisme visqueux et – toujours – un égocentrisme plus ou moins assumé qui a tendance à m’agacer. Et je ne parle pas du côté donneur de leçon et/ou gourou de la réussite dont certains font montre. Donc, vous l’avez compris, je ne suis pas fan de ce style littéraire.
Je serai de mauvaise foi si je ne mettais pas de bémol dans ma légère aversion pour les exercices de confession littéraires en général (autobiographie ou autofiction). Il y a des auteurs qui réussissent l’exploit de parler des autres, de conter le monde en faisant – quasiment – semblant de parler d’eux. Quand un livre réussi à mettre en parallèle la petite histoire de l’entre-soi de l’auteur et la grande histoire autour de lui, c’est un gage de bonheur de lecture. Quand à travers l’histoire d’un homme – grand ou pas – on arrive à redéfinir sa perception du monde, sa connaissance de l’histoire ou de mieux appréhender l’humanité autour de soi ; l’autobiographie est un délice.


Ce préambule, un peu long, je l’avoue, n’a d’autre but que d’expliquer pourquoi j’ai gardé ce "Enfants des lieux bannis" du rappeur ROST sur mes étagères pendant deux ans sans en ouvrir les pages. Peut-être ai-je aussi été influencé par les avis assez mitigés de mes amies de "Palabres autour des arts" lorsqu’elles ont chroniqué ce livre en septembre 2012 (voir la vidéo sur Youtube). Peut-être. Mais le principe de ces rencontres étant de pousser les lecteurs à découvrir les livres et de se faire leur propre opinion, il me fallait me plier à notre doctrine. J’ai donc plongé, avec quelques réticences, dans le récit autobiographique de ROST ; rappeur, tagueur, militant associatif et, surtout, personnage hautement médiatique du PAF français entre 2006 et 2010.

Dans "Enfants des lieux bannis", publié chez Robert Laffont en 2008, Rost entreprend de nous décrire son parcours en quatre actes :

  1. De sa naissance togolaise, sa vie rêvée de gamin dans les rues de Kuma dans une fratrie de neuf enfants, à sa vie au Gabon, loin de ses parents pendant quatre ans. C’est le début de la course d’obstacles de sa vie, et aussi l’un de mes plus grands regrets dans ce livre. Le passage "africain" du parcours de Rost m’a frustré car trop vite expédié. Trop vite balayé le "pourquoi" de l’exil forcé de ses parents, les choix qu’ils ont dû faire d’abandonner derrière eux leur fils aînés, la douleur que ça a dû être pour eux.
    J’ai aimé cette première partie du livre mais peut-être – peut-être seulement – aurait-elle gagné en richesse si Rost avait réussi à obtenir de ses parents la confession de leurs émotions, de leur réalité dans ces moments sans doute marqués par une violence extrême. Au-delà de Rost, le cheminement de son père, de sa mère et leur rapport au Togo sont des sujets que j’aurai adoré lire. Hélas, évidemment, nous sommes dans une autobiographie, le moi est de rigueur, c’est l’écueil de l’exercice (voir plus haut) qui, dès le début du livre pointe son nez.

    « On récupérait de vieux cintres tordus dans les poubelles des tailleurs, on les dépliait soigneusement et on fabriquait avec des cerceaux aussi ronds que possibles. A l’aide d’un fil de fer, on faisait une boucle au bout d’un bâton. On passait ensuite le cerceau dans la boucle. Le but du jeu était de courir le plus longtemps en tenant le bâton d’un bras tout en guidant le cerceau. »

  1. Le second acte conte une période d’insertion du jeune Rost (environ dix ans) dans son nouvel environnement français. Et, sous-jacent, on lit la faillite de l’accompagnement que ce soit de la part du système éducatif ou des parents. Un gamin qui déboule dans une nouvelle vie sans "mentor" pour lui donner les codes, l’épaule et être un soutien ; alors il apprend de façon violent. Rost est grand et plus costaud que la moyenne, donc il répond à la violence verbale par des uppercuts, puis découvre le tag comme exutoire. Ma question est : que serait-il advenu de lui s’il avait été gamin frêle, chétif et donc privé de la réponse brutale ? Un dépressif suicidaire ? Un psychopathe tueur en série ? Cette seconde partie du parcours de Rost, entre bastons générales et tags sauvages dans les couloirs du métro, est le symbole de la faillite des adultes.

    « Comme j’allais le calculer pour un exercice de mathématiques l’année suivante, l’appartement dans lequel nous habitions comptait vingt-huit mètre carrés. Et nous étions neuf à y vivre quotidiennement. Dans un exercice de français, j’appris que cela s’appelait "un taudis", ou "une turne". Il n’y avait pas à dire, l’instruction ça a du bon. »

  1. Quand, dans la troisième partie de son parcours, Rost passe du tag au rap, on rejoint un parcours un peu plus "classique" des artistes de l’urbanité occidentale. Rost dépeint bien la rage qui habite le jeune qu’il était et la nécessité de trouver un mode d’expression personnel.
    L’ironie c’est que l’on est dans la partie "rap" de sa vie mais aussi dans une zone égotrip assez forte dans le livre. Les "j’ai fait", "j’ai donné", "j’ai vendu"… deviennent vite agaçant. Bien que la description de ses combats soit intéressante, les notions de combats et de persévérance de bon aloi ; impossible d’ignorer le nombrilisme de l’auteur. Nous sommes là bien dans une autobiographie.

    « Les mesures judiciaires suivirent leur cours ; un jeudi matin, je me retrouvai devant le juge des enfants. Tous les bureaux des juges des enfants sont couverts de montagnes de dossiers. Celui-ci était comme les autres, soixante-dix centimètres de dossiers sur toute sa surface. J’apercevais à peine la juge, une femme blonde, de l’autre côté, derrière les piles de paperasse. Ses traits étaient fatigués, elle enchaînait les affaires depuis huit heures. »

  1. L’engagement politique de Rost est décrit dans la 4ème partie et c’est là une des choses les plus intéressantes dans le parcours de l’auteur. La création de son association "Banlieue active", ses combats et, surtout, Rost rend hommage à un grand nombre de personne qui lui ont tendu la main et c’est là quelque chose de louable, même si, je pense, qu’une plus grande place aurait pu être donnée à ses partenaires de tous les jours, ceux qui allaient au carton avec lui.
    Le sentiment, cependant, qui m’habite en lisant ses cris du cœur à la citoyenneté et à la république, c’est qu’ils ne servent pas à grand-chose. Le public qui devrait être touché par ses mots n’est pas – ou si faiblement – un lectorat actif un peu comme il n’est électorat actif. Et les autres, ceux qui liront ses confessions d’engagées, ont déjà – souvent – eu une réflexion sur ses sujets là. Oui, j’ai des tendances pessimistes quand je lis des engagements "gourou-like" plein de bons sentiments et un tantinet donneur de leçon. Mais il en faut. Même si cela ne devait toucher qu’un ado sur mille, ça en vaut la peine.

Ne nous trompons pas, ce n’est pas là – à mon avis – l’œuvre d’un écrivain à qui l’on demanderait des exploits littéraires. La narration est faite avec une langue familière assez banale, et faible par moment, mais qui colle à l’atmosphère entourant le personnage. Il est dommage qu’un éditeur aussi important que Robert Laffont n’ait pas aidé l’auteur à retravailler le texte pour l’aider à se défaire de la multiplication de "verbes pauvres" (dire, faire, trouver…) et donner une plus grande richesse à son style.
Cependant je termine ce livre avec le sentiment que Rost est tombé dans tous les écueils qui me font fuir les autobiographies et que malgré cela j’ai eu plaisir à le découvrir à travers son parcours. Le livre se lit vite, sans ennui grâce au dynamisme de l’écriture. Ce récit mérite d’être lu et, surtout, donné à lire aux jeunes de tout horizon socio-culturel parce que ceux qui se battent, persévèrent et gagnent leurs combats mériteraient d’être toujours ceux qui servent d’exemple. Vœux pieux.

« Toute la différence entre gagnants et perdants, dans le sport, dans l’entreprise ou dans la vie, c’est la capacité à surmonter les coups durs. Tous les grands hommes se caractérisent par une incroyable faculté à rebondir. Je n’étais pas un grand homme. Mais j’avais une sacrée envie de rebondir. »


"Enfants des lieux bannis"

Rost

Éditions Robert Laffont, 2008