Les seules limites sont celles que nous nous imposons

Accueil > Doszen griot > Lectures > La palabre hier et aujourd’hui - Les livres en parlent (2)

L’essai du jour

La palabre hier et aujourd’hui - Les livres en parlent (2)

La palabre hier et aujourd’hui (2)

mercredi 30 avril 2014, par Doszen

Le fantasme occidental (bien nourri par les africains d’ailleurs) qui veut que "l’arbre à palabre" soit trusté par les seuls hommes, vieux, misogynes, et qui feraient la pluie et le beau temps... n’est pas toujours vrai.

La palabre, la parole, n'est pas – toujours – l'apanage des anciens


 


Dans ma jeunesse étudiante à Dakar nous avions, avec tous les autres étudiants congolais de Cheikh Anta Diop, institué un lieu de rencontre, un lieu de parole au sein du campus où nous venions tous les soirs blablater, échanger, protester, vanner, toujours avec le souci du bon mot, de la saillie verbale remarquée. Nous l'avions appelé le "Tchimoko".


Ici, point de culte aux anciens, tout le monde avait droit à la parole, du plus âgé au plus jeune si ce n'est les femmes qui, bien que n'étant pas formellement excluent, semblaient – à quelques exceptions près – s'être mises d'elles –même à l'écart.


Si nous avions été des Ibos du Nigéria, j'aurai pu penser que nous avions reproduit de façon grégaire un comportement culturel du 19ème siècle.


Car dans "Things fall appart" ou "le monde s'effondre" de l'immense Chinua Achebé, la Palabre, la parole, est considérée comme un art. La conversation se doit d'être parée de beauté et il est dit dans le livre "proverbs are the palm-oil with which words are eaten".


Dans cette société Ibos que Chinua décrit, le rôle des Anciens, les ndichies, est prépondérant. Mais tous les hommes peuvent assister et avoir droit à la parole. Les jeunes et les vieux donnent leurs avis, poussent dans le sens de la guerre (exemple avec le clan Mbaino) ou de la réparation de la perte de Ogbuefi Udo. Quand il s'agit de choix importants pour la communauté, au final, la parole des anciens prédomine.


Ici, le lieu de la Palabre, là où les discussions doivent avoir lieu, est simplement la place du village. L'endroit n'est donc pas important."

 

La place des femmes croît ou décroît en fonction de leur droit à la palabre


 


Le fantasme occidental (bien nourri par les africains d'ailleurs) qui veut que "l'arbre à palabre" soit trusté par les seuls hommes, vieux, misogynes, et qui feraient la pluie et le beau temps... n'est pas toujours vrai


Chez les Dialobés de l'enfant "Samba Diallo", je fais référence au grand classique "L'aventure ambiguë" de Cheikh Amidou Kane, la grande Royale, tante du petit Samba Diallo, sœur du chef, à voix à la parole. Elle est décrite comme quelqu'un d'extrêmement charismatique et dont l'avis compte dans la palabre. C'est d'ailleurs elle qui obtient gain de cause quand il faut faire le choix décisif d'envoyer les enfants dialobés faire des études ou non dans le système occidental. C'est La Grande royale, tante de Samba Diallo, qui a la 1ère conscience de la domination culturelle occidentale qui vient à travers l'école mais qui sait aussi qu'apprendre la nouvelle culture, quitte à en perdre un peu de la leur, sera la seule façon de se défendre. C'est elle qui dit “Il faut apprendre chez eux l’art de vaincre sans avoir raison.”

 

La palabre, la parole, comme instrument de pouvoir des hommes.


 


A l'inverse de la Grande Royale de Cheikh Amidou Kane, la Ramatoulaye de Mariama Ba (Une si longue lettre) n'a pas le droit à la Palabre lors du décès de Modou Fall son époux. Tamsir, le jeune frère du défunt, fait venir l'Imam et décrète qu'il épousera la veuve. La veuve, instruite et indépendante revendiquera son droit à la parole, une part du pouvoir, et rejettera cet aspect de la culture.


Dans "L'ingratitude du caïman" d'Isaac Djoumali Sengha, la jeune épouse d'origine russe d'André Mambou, Lara, est confrontée à la même situation de femme privée de la Parole quand un des frères veut exercer sur elle le "Lévirat". Elle découvre la palabre par l'absence et la rejette.


"Ma Blakie" qui campe la mère dans l'immense roman "La Dot" de Buchi Eméchéta, elle, ne rejettera pas le droit à la parole de la famille de son défunt mari et acceptera le lévirat, ensemençant sans doute les racines de la révolte de sa fille Aku-nna qui revendiquera sa parole devant son oncle Okonkwo.


Dans "Le monde s'effondre" de Chinua Achébé, la parole de l'homme aussi prédomine car dans cette société Ibos, la femme semble être muette. Nulle femme, quel que soient son âge et son statut social, ne peut assister à une réunion pour discuter de sujets, si graves soient-ils, touchant à la vie de la communauté. Il est absolument défendu aux femmes de connaître ou même de vouloir connaître les secrets des esprits ancestraux, les « egwugwu », le culte le plus puissant et le tribunal suprême du clan. Et quand Okonkwo, dans sa jeunesse, s'éprend d'une femme mais qu'il n'a pas les moyens de l'épouser, elle est donnée en mariage à un homme plus vieux. Quand, quelques années plus tard, il devient riche, il va simplement chez l'homme, reprend son "amour" de jeunesse et paie l'amende qui va bien. A aucun moment dans le livre le consentement de la femme ne semble requis comme le montre Ibiyemi Mojola dans son étude sur "La femme dans l'œuvre de Chinua Achebe".

 

La palabre, la parole, ne peut être confisquée et quand elle l'est... gare au drame


 


Dans le "Riwan ou le chemin de sable" de Ken Bugul, les 28 femmes du Sérigne qui semblent être confinées dans le silence ne gardent pas moins le pouvoir de la parole. Dans la cours arrière de la demeure du Sérigne, les femmes ont le pouvoir de la parole et l'exercent.

  • Parole pour la transmission entre les épouses les plus âgées et les plus jeunes,
  • parole pour l'éducation des enfants qui sont élevés dans la cours des femmes,
  • paroles pour la danse des femmes qui est pour elles le moment de liberté par excellence où elles peuvent laisser leur érotisme s'exprimer…


Sokhna Mama Faye, dixième femme, semble y régner par son charisme qu'elle a imposé au Sérigne mais aussi la parole sur l'Homme-gardien, le seul homme admis dans la cours des femmes.


Dans "L'Hibiscus pourpre" de la jeune auteure nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, le personnage de Tantie Iféoma gagne sa liberté en ne se taisant pas devant son frère tyrannique Eugène et elle donne le pouvoir de se libérer à sa nièce Kambili et son neveu Jaja en les introduisant dans la palabre, en leur ouvrant l'accès aux mots. Lors de leur première visite chez leur tante, les deux enfants sont choqués de la liberté de parole qui règne chez cette dame, professeur d'université et divorcée mais dont la famille semble totalement épanouie. Dans le foyer des deux enfants le pouvoir s'exerce par la confiscation de la parole, la palabre leur est déniée et tout le roman est marqué par les silences lourds et angoissants. Dans son écriture, Chimamanda Ngozi Adichie ne décrit jamais les scènes de violence et en ne leur donnant pas de voix elle souligne encore plus l'outrance de certaines situations."


 


(Article précédent... La palabre hier et aujourd’hui - Prélude et découverte (1) )

(Suite...)