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Jet d’encre

« Confessions d’une sardines sans tête », de Guy Alexandre Sounda

lundi 15 août 2016, par Doszen

"Dans cette ville chacun cache ses emmerdes comme il peut et arbore ses joies comme il se doit, seul compte le bonheur avec toutes ses odeurs. Le déboire effraie."

"Confessions d’une sardines sans tête"- Guy Alexandre Sounda

J’ai eu l’occasion de croiser l’auteur, Guy Alexandre Sounda, qui nous propose ses "Confessions d’une sardine sans tête", Joli titre en passant, en 2010, quand dans ma période de boulimie théâtrale je squattais toutes les salles sombres - pas chères - de Paris. Il jouait, en seul-sur-scène, son texte "Le fantôme du quai d’en face", et j’avais beaucoup aimé le spectacle. J’étais donc assez curieux de voir ce qu’un bon comédien pouvait donner quand il se glissait dans la peau d’un romancier.
J’entre donc dans ce récit avec une - très - légère appréhension car les romans écrits par des hommes de théâtre ne sont jamais neutres, ont souvent de très forts parti-pris stylistique qui peuvent vous désorienter. Perso, j’aime ça en général, mais un choix stylistique puissant c’est aussi synonyme de quitte ou double. Disons le déjà, le voyage dans le crâne de Guy Alexandre Sounda m’a transporté !

« Je hais ce passé-là : il abonde de creux gadouilleux où je risque de sombrer chaque fois que je m’y promène. Je préfère mon présent, même si pour le moment il n’est attifé que de défroques, au moins je peux le saisir, le clouer au mur, le regarder de près, lui sommer de se magner les fesses et lui casser la gueule en cas de refus. Tandis que ce passé-là... Impossible de le changer ni de le défaire. »

Le récit repose sur le monologue réminiscent de Mortimer Bartoza. Manifestement blessé psychologique de guerre, d’une de ses guerres sanglantes d’un lugubre pays africain adepte d’auto-violence. Dans un moment d’explosion psychologique, enfermé dans une espèce de centre de "tri", où un "écouteur", personne commise pour prendre note de ses souvenirs, à la manière du personnage de Emmanuel Goujon dans son super roman "L’imperméable" (éditions Vents D’ailleurs, 2011), nous sert de passeur dans l’embarcation qui, en zig-zag chronologique hors logique, Mortimer Batoza nous ballade des rues pétaradantes à l’arme lourde du Gombolo, pays imaginaire d’Afrique Centrale, aux couches multiples des ladies qui croisent, à leurs risques et périls, la vie de l’immigré éclopé qu’il est devenu dans les rues occidentales.

Dès le début du récit je retrouve ce qui lie les romanciers dramaturges : l’exultation des mots !
Je retrouve mon Mwanza Mujila ("Tram 83", édition Métaillié) dans cette impression que les mots posés sur la page sont là pour être éructés. Je vois du Sinzo Aanza, dans la liberté que prend Guy Alexandre avec la narration, y insufflant une espèce de saccade quant à la voix qu’on entend qui, parfois, nous trouble tant on ne sait pas toujours qui parle, d’où, de quand. Le personnage de Mortimer Batoza raconte à l’écouteur professionnel ce qu’il racontait, ou se racontait, quand il était au faîte de sa folie, dans laquelle il revit ses… chut !
Pas de spoiler.
Sachez simplement qu’il y a un jeu de raconteur qui se raconte raconter son passé absolument déroutant. On est dans une narration de passés qui s’emboîtent et parfois nous embrouille tellement que les notions de lieux et de temps n’ont plus trop de sens dans ce livre. Sans nous en rendre compte, la boucle trentenaire du temps nous enferme...

Guy Alexandre Sounda réussi la performance de se mettre dans la tête de ce SDF, avachi dans un jardin qu’on imagine parisien, se parlant à lui-même, ou plutôt à une poupée avec qui il s’imagine dialoguant, et poursuivi par les âmes des 76 personnes qu’il aurait trucidé durant une guerre civile sanglante. On est dans le crâne déboussolé de Fabius Mortimer, ex soldat rebelle qui a embrassé une cause à laquelle il ne croyait pas, par opportunisme vengeresse d’une injustice. Il n’est pas le seul. La rébellion, formé de bric et de broc, sans idéologie autre que la violence, enfonce les âmes des tueurs qui défoncent des crânes sans même y penser. Mais leurs pensées ne s’échappent généralement pas du gouffre des remords.
Le traitement de l’absurde me fait penser à "L’assaut" de Reinaldo Arénas. La référence, pour moi, en termes d’absurde jouissif en littérature, et ce choix est particulièrement bien choisi quand, arrivé en bout de lecture, en se refait le tableau général de l’évènement, et on se dit "ah oui… !!"

« Il s’était emparé d’un couteau de cuisine et s’avançait vers moi en secouant énergiquement la tête et les épaules. Était-ce pour m’impressionner ? Ça m’avait fait glousser : pointer un couteau de cuisine sur un homme qui sort à peine d’une guerre sans merci est absurde. J’étais triste pour lui. Je sentais bien que je n’allais pas tarder à lui sauter dessus, à l’étrangler avant qu’il n’ait le temps de se défendre, à cause de l’embrasement vif et inextricable qui germait en moi à mesure qu’il s’avançait : c’est un truc que j’ai attrapé à la guerre, une espèce de transe-al-caponique qui me pousse au meurtre. »

La fin se perd encore plus dans la folie. On ne sait pas si on est dans le délire schizo de Fabius Mortimer ou dans une réalité plus que sanglante. Ce livre est foutrement bien écrit, la narration aussi folle que l’histoire et il faut une bonne dose d’ouverture d’esprit au lecteur pour s’accrocher sans se perdre. J’ai adoré sa lecture coup de cœur. Énorme découverte que celle du talent de romancier de Guy Alexandre.

De mes 3 pays d’appartenance, je désespérai réellement du niveau d’esbroufe littéraire du Congo Mfoa. Je désespérai du renouvellement des talents, orphelin à peine consolé par la présence des Mabanckou, Nsondé, Djomali Sengha. Du coté cœur-RDC j’avais, dans la génération montante, de Mwanza Mujila, Sinzo Aanza, des Bofane ou des auteurs des recueils "Chroniques du Congo" et "Chroniques du Katanga", qui me mettaient le sourire aux lèvres. Quelle puissance d’écriture !
Las, de Brazza trop d’embrouilleurs. Puis vinrent ces "Confessions d’une sardine sans tête", et Alexandre Sounda ramena Mfoa dans la compétition entre voisins. Voici une nouvelle voie qui va compter dans les chemins du futur littéraire africain. Vraiment.

Un incontournable.


"Confessions d’une sardine sans tête"

Guy Alexandre Nsounda

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