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Jet d’encre

E414 - L’entre deux récits

Kaar Kaas Sonn

vendredi 17 janvier 2014, par Doszen

Arnaque au désir d’intrigue. C’est la sensation de fin de lecture de ce quatrième roman de l’auteur-musicien multitasker qu’est Kaar Kaas Sonn. Sensation légèrement amère d’avoir été privé d’une chose que la quatrième de couverture ainsi que le titre intrigant du livre promettait : l’aventure, le suspens, des retournements de situation. Pensez-vous, avec un roman titré "E414"… et non. Et oui. Enfin, un peu des deux.

Mon "oui" tout d’abord va à l’auteur amoureux des belles lettres, à l’écrivain que l’on sent traversé par le désir de trouver la tournure qui va bien, la phrase qui portera, dans le cœur du lecteur, son message. Kaar Kaas Sonn a un message, des messages, à délivrer et le fait avec la manière qu’il maitrise le mieux ; celle du troubadour. On s’attendrait presque, à certains passage, à entendre le son de sa guitare en fond sonore.

"Il se murmure d’ailleurs que la chute du monde, mise entre parenthèses par l’homme à la reconquête de ses droits après l’épisode de la pomme d’Eden, a repris son cours vertigineux le jour où quelqu’un a proclamé la femme égale de l’homme, contre ce qui est édicté dans les anciennes écritures."

Le "oui", toujours, dans les sujets abordés qui, contre toute attente de la couverture disais-je donc, sont très contemporains. L’auteur voulait tirer à tout va sur les déficiences de nos sociétés modernes à travers la voix de ses héroïnes ; Rose en priorité mais aussi Halima.

Cependant, avant d’en arriver aux parcours des deux dames contemporaines que sont Rose et Halima, nous entamons le roman pour des messages qui nous mettent dans l’attente d’une lecture que l’on s’attend être Da Vincicodesque.
Le récit démarre sur des faits historico-fictifs au 13ème siècle, fait état du voyage du Graal en cyrénaïque, parle de Léonard de Vinci, va à Eichstedt en Allemagne en 1934, va sur Hounou Walma, sœur catholique initiée à l’occultisme, jusqu’à Rose, notre protagoniste chef d’un groupe économique d’envergure mondiale mais aussi, âme occulte d’un mouvement spiritual de réveil africain, le Kalu . Mais stop.

Stop car j’en ai déjà plus que trop dit, je vous ai déjà balancé un spoiler immense, mais je crois qu’il vous donnera tout de même l’envie de lire ce livre. Je sais, faire une chronique sur un livre sans en dire plus sur le livre est une hérésie mais aller plus loin serait "tuer" toute envie de lire ce livre et c’est là que se situe mon "non" à ce roman.
Essayons de ne pas trop et dire. Mais tout de même…
Les infos du début, balancé de façon parfois assez télégraphique, peuvent décontenancer mais ils nous mettent en condition, ils nous semblent mettre les bases d’un suspense plus proche de l’heroïc-fantasy de Roger Zelazny (genre la Sage du "Cycle des princes d’Ambre") et… on se retrouve pendant plus de la moitié du livre dans un 21ème siècle déprimant à suivre les pas de Rose dans son combat pour monter son entreprise. A disserter sur la place de la femme, de la place de la femme Noire dans la société. A visualiser les chiffres en arabesques d’un business plan et à s’enfiler des théories marketing pour une entreprise florissante. Pendant la moitié du roman nous lisons des choses, certes très intéressantes, nous nous émouvons des parcours pas banals et du courage des deux jeunes dames, mais à chaque ligne on se demande "où est le rapport avec le début du roman ??".
Puis aux alentours de la page 105, nous revenons dans l’intrigue fiction-ésotérique qui nous était promise. Et là, l’auteur déploie devant nous une histoire au potentiel immense. L’histoire d’une Rose qui reçoit un signe des Esprits et qui va à l’aventure pour retrouver une espèce de pierre philosophale promesse de grandeur. L’histoire de l’ascension économique d’une afro-descendante quadragénaire qui tutoie les grands hommes du monde et qui bâtît autour d’elle un culte dédié à la grandeur des hommes noirs à la fois porteur d’utopie et d’une inquiétante noirceur. Bref, pendant 70 pages nous avons l’esquisse de ce qui serait une grande épopée. Hélas, trois fois hélas, ceci est une esquisse.
Il était impossible en si peu de temps d’exploiter comme il se devait le potentiel de cette histoire. Impossible de ne pas tomber dans l’élagage, le saucissonnage, le tronçonnage, le lardage d’un récit qui avait le potentiel d’un grand livre d’aventure.

Alors, ce livre mérite le coup d’œil, oui. Ce texte mérite que l’on s’y plonge car il y a énormément de sujets qu’un lecteur trouvera plaisir à trouver, des propos sur les sociétés occidentales qui animeront ses neurones. Le lecteur aimera la plume, légère et parsemé de temps à autre de fulgurances poétiques et cette verve dont Kaar Kaas Sonn est capable.
Le lecteur amoureux de science-fiction, nourri à l’Héroïc-fantasy lui, refermera ce livre en se demandant le pourquoi de cette dérive de près de cent pages et en se disant, pour les soixante-dix pages restantes, "mais quel gâchis"


E414

Kaar Kaas Sonn

Éditions Lavalcades