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Jet d’encre

Esclave - ou le cauchemar d’une épopée passionnante

Kangni ALEM

mercredi 27 mars 2013, par Doszen

Ce que devrait toujours être la lecture. C’est là l’ultime pensée qu’à le lecteur qui referme ce livre sur sa dernière page. En tout cas, le lecteur que je suis l’a pensé très fort. Pourquoi ? Ah, pourquoi… Parce que…

Conspiration.

Les "Games of throne" dans lequel les premières pages de "Esclave" nous plonge. Conspiration de Gankpan, futur roi Guezo, contre son oncle Adandozan, roi régnant du Danhomé, en conflit ouvert avec l’acolyte du premier, Don Francisco Felix Da Souza dit « Chacha », marchand d’esclave. Les intérêts des deux rustres - "industrialiser" encore plus que ce qui ce faisait, la traite des noirs vers l’occident, les Amériques - se heurte à la "philosophie" d’Adandozan : oui à l’esclavage, pourquoi pas, c’est après tout dans l’ordre des choses de ces temps-là, mais non à la traite, à la déportation loin des terres africaines qui, elles aussi, peuvent être exploitées et produire les même denrées dont les blancs raffolent. Pourquoi aller faire travailler ailleurs ces esclaves qui, sur ces terres, peuvent faire la même chose ? Parce que plus simple, pensent les marchands d’esclaves qui n’en ont cure des lubies du roi. Les intrigants n’ont donc d’autres choix que celui de déposer Adandozan.

Intrigue.

A petite dose, les mensonges sur l’inhumanité du roi ont été répandus auprès du peuple. On anticipe l’acceptation par les populations de la déchéance d’un roi, pourtant héritier du pouvoir des dieux. Guezo et Chacha fomentent leur complot, prennent le roi par surprise via un poison simulant la rougeole, la malédiction des dieux sur le roi.

Le traitre.

Un pauvre bougre, un petit prêtre vodoun qui a eu le tort d’être un maitre en matière de poison et qui se trouve, tête la première, plongé dans le complot contre son roi à son corps défendant. Tous nous aurions essayé de sauver nos familles, quitte à trahir. Mais derrière un traitre, peut-être se cache-t-il un héros ?

La femme, ou les femmes.

Sophia de Montaguère, danoise et scandaleuse âme-sœur du roi Adandozan, convoitée, évidemment, par Guezo. La femme est le symbole du pouvoir ravi. Ses penchants abolitionnistes ont rencontré les principes du roi et la foudre amoureuse a frappé.

Les femmes du prêtre vodoun, qu’il ne veut pas abandonner, que même razziées, raflées, il veut retrouver, quitte a marcher des jours et des jours à leur recherche, ne prenant même pas le temps d’enterrer comme il se devrait sa plus jeune épouse, morte, décapitée pour les besoins de "formation" d’une amazone en devenir.

Nansica, la bizut amazone, qui a fait ses preuves par le tranchant de sa lame à travers le coeur de l’homme qu’elle a ensuite considéré comme le seul digne du statut d’homme. Guerrière de devoir, de hargne, de mission "jusqu’au bout", pleine de contradiction, à l’histoire qui aurait mérité huit tomes encyclopédiques.

Edum, femme belle, magnifiquement féminine, jamais ne digère d’être repoussée, jamais le quidam, Miguel, n’aurait dû sous-estimer la vengeance froide d’une femme dédaignée, peut-être alors, peut-être, la face de l’histoire des afro-brésiliens en eut été changée.

Sabina, dévouée femme d’un esclave en eaux calme près-rébellion. Elle ne laissera pas de trace dans l’histoire, si ce n’est d’avoir servi de repos du guerrier. Mauvaise langue.

L’épopée.

Vendu comme esclave, le prêtre vodoun maudit le James Matthew, bateau négrier, par de puissantes incantations qui appellent la foudre, fait dériver rafiot vers les côtes de l’île de Bahia, la destination d’origine, Cuba, ne plaisant pas à celui qui s’est laissé emprisonner dans l’espoir de retrouver sa famille. Le naufrage du Don Francisco, futur James Matthew, fera basculer le prêtre sans nom au statut d’esclave modèle dans la propriété d’un maitre illuminé qui s’est auto-déclaré grand-prêtre d’une religion pour esclave. La chute de l’esclavagiste-ecclésiastique vaudra à Miguel un nouveau maitre, une nouvelle plantation, une nouvelle vie, celle d’infiltré silencieux puis celle de combattant sans peur, le sabre au poing, à l’assaut des maitres qui ne veulent pas voir le sens de l’histoire.

Le maitre Yoda.

Sulé, le maitre haoussa musulman, celui qui a su maintenir vives les traditions africaines car sachant lire et écrire l’arabe, celui qui plonge Miguel dans le secret des dieux ; la préparation au soulèvement des esclaves de Bahia. Le maitre à penser, sage parmi les sages, dont Miguel vêtira le nom, en signe de respect.

Le héros.

Félix Santana, mulâtre bâtard de prêtre défroqué, la naissance d’un fils noir renvoi cet érudit, prometteur futur garant de la noblesse blanche de Bahia, vers son statut de fils d’esclave, et sa filiation noire qu’il choisit d’embrasser sans ambages, mettant sang et sueur au service d’une révolte sanglante et finissant sa vie et fer de lance des revendications pour l’abolition de l’esclave sur les îles.

L’ironie de l’histoire.

Ou le retour des révoltés, non pas en enfants avides de réintégrer leurs terres, leurs clans, mais en étrangers, en, déjà, déracinés de la deuxième, troisième génération, qui refoule la terre de leurs ancêtres en conquérant venant "d’ailleurs", cet ailleurs qui les a identifiés comme étant des "afro-brésiliens", fiers, orgueilleux, coupés, quelque part, de leurs frères désormais jugés "indigènes". Felix Santana, sera, dépit et malheur, le symbole écœurant de ce déraillement historique.

L’apprentissage.

Lignes après lignes, les pages succédant aux pages, Kangni ALEM nous sert de professeur émérite en histoire deS AfriqueS, nous fait découvrir le royaume d’Abomey à l’orée de la fin de la traite négrière, déterre pour nous des limbes de l’oubli le grand roi Adandozan, montre un autre pan de l’histoire, celle ensevelis sous les décombres non-assumés des descendants de Chacha ou des afro-brésiliens, nous demande d’assumer la part sombre des aïeuls collabos des négriers et, surtout, Kangni ALEM se fait l’enseignant au débit fluide et dynamique, au phrasé juste et sans fioriture pour nous conter une fiction-historique magistrale qui transforme les pages blanches statiques en écran noir dynamisé par les images sortant de nos imaginations.

J’ai assisté à une séance de "Pirates des caraïbes" avec le fantasque Johnny Depp. Non, "Amistad" plutôt, avec Djimon Hounsou en prêtre voudoun. Que nenni, ça avait des allures de "Indiana Jones la dernière croisade" d’Harison Ford. Peut-être me trompe-je, on aurait dit "Racines" avec le Kunta Kinté de Alex Alley. Ah oui ? J’ai pensé à "Quiemada" avec Marlon Brando ou son "Viva Zapata !"
Enfin, bref, j’ai lu un film d’aventure…


Esclave (2009)
Kangni ALEM

Édition JC Lattés