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Jet d’encre

"La maison des épices" – Pour que l’ancien sublime le moderne

Nafissatou Dia Diouf

mercredi 31 décembre 2014, par Doszen

« Les branches noueuses s’entremêlaient en s’élevant si haut qu’elles défiaient toute loi de gravitation et se mêlaient aux ronces qui surgissaient du cœur de la falaise. Cette flore sauvage bordait l’autre chemin en amont, celui qui reliait l’ancien comptoir au village de pêcheurs. En aval, perchée sur un aplomb, s’étalait la riviera et ses villas aux façades blanches. Sur le long ruban rocheux qui serpentait la côte, ce deux mondes avaient pour trait d’union La Maison des épices. »

Nafissatou Dia Diouf nous met dans les pas de docteur Tall, médecin chevronné qui, visiblement, sort d’un drame familiale et décide de postuler pour dans un hôpital d’un nouveau genre qui s’est donné pour mission d’associer la médecine moderne aux sciences ancestrales africaines. Ce projet porté par la force de conviction du docteur Ndaw est surtout, au-delà de la collaboration entre médecins et guérisseurs, une façon de promouvoir une médecine de proximité, adaptée au contexte culturel et environnemental du malade.

« Les gens se trompent sur ce qu’ils croient être le bonheur. Pour la plupart d’entre nous, c’est une chose qu’on voudrait obtenir coûte que coute, qu’on voudrait posséder et garder. Et l’obtention de cet idéal devient pour nous le bonheur, l’atteinte de cet idéal devient pour nous le bonheur. Rien que de se l’imaginer, on sourit, on éprouve de la joie. Mais, le plus souvent, lorsqu’on arrive au but qu’on s’était fixé, on se réjouit, certes, mais cette joie est de courte durée, et très vite on s’empresse de cristalliser à nouveau nos pensées sur un autre bonheur espéré qui, à coup sûr, nous comblera plus que tout et définitivement. Comme un vase percé qui évacue au fur et à mesure les bonheurs passés. »

En arrivant dans ce centre de "La maison des épices", le docteur Tall emmène avec lui un malade plongé dans le coma et que les grands spécialistes de la ville ont renoncé à soigner. Le docteur Tall réussi à convaincre le chef de service d’essayer, en dernier recours, d’autres types de thérapies. Et là commence une sorte de combat-ballet entre celui que l’on a surnommée Louis et son médecin traitant. Le premier, sorit du coma, ne se souvient de rien et s’enferme dans une attitude agressive de rejet quand le second déploie des trésors de patience pour essayer de faire sauter le verrou psychologique qui empêche son patient de se souvenir de son passé, et donc de son drame.
Autour de ses deux protagonistes, une cohorte de personnages hauts en couleur. De la dynamique docteur Ndaw au vieux colonel un peu fou, les infirmières du centre (tel que la délicieuse Ndeye Fily), les guérisseurs mystérieux : tous vont constituer un aréopage qui ne semble n’avoir qu’un seul but ; celui d’aider les malades à remonter la pente.

« Tu viens à la vie sans scénario préétabli, sans souffleur pour te donner la réplique, juste ton chemin à parcourir un pas après l’autre, tortueux ou rectiligne. »

En toile de fond de cette quête du passé, pour Louis, et de cette recherche de rédemption, pour le docteur Tall, c’est La maison des épices. Cet ancien comptoir des esclaves reconvertie en centre de soin, qui tend à faire le lien entre ancien et moderne, semble être la réelle motivation d’écriture de Nafissatou Dia Diouf. De longues descriptions du lieu, des retours très documentés sur le passé de l’endroit et les destins de ceux qui ont foulé cette maison des épices. Et surtout, une ode aux connaissances ancestrales sans pour autant rejeter le modernisme.
Cependant, ce souci du détail "historique" est également l’un des talons d’Achille du récit. Il lui met des longueurs qui plombent quelque peu la lecture et ceci est aggravé par le choix stylistique de l’auteure. Nafissatou Dia Diouf est d’abord une nouvelliste et une poétesse qui, semble-t-il, a été nourrie par les classiques de la littérature hexagonale. Tellement, à mon sens, que tout son style s’en ressent et ce qui est sans doute très indiqué dans les textes courts et des poèmes s’avère ici parfois dure à digérer. Notamment le premier tiers du roman qui est lourd, pesant et ce manque de fluidité dans l’écriture peut rebuter. Bien sûr les phrases sont belles et la plume maitrisée mais, justement, on a parfois trop l’impression d’une auteure studieuse qui applique les règles de rédaction façon 19ème siècle par ce qu’on lui aurait dit que la littérature c’est ça. L’écriture est d’un classicisme lourd comme un éléphanteau qui voudrait paraître plus vieux. Le premier tiers du livre manque de personnalité.

« Les branches noueuses s’entremêlaient en s’élevant si haut qu’elles défiaient toute loi de gravitation et se mêlaient aux ronces qui surgissaient du cœur de la falaise. Cette flore sauvage bordait l’autre chemin en amont, celui qui reliait l’ancien comptoir au village de pêcheurs. En aval, perchée sur un aplomb, s’étalait la riviera et ses villas aux façades blanches. Sur le long ruban rocheux qui serpentait la côte, ce deux mondes avaient pour trait d’union La Maison des épices. »

Par contre, quand l’auteure se focalise plus sur ses personnages – notamment la relation entre Louis et le vieux colonel – le plaisir de la lecture efface les premières impressions. Les tourments psychologiques de Louis sont bien décrites, la posture du vieux Colonel, au passé trouble, est particulièrement intéressante dans ce combat contre les fantômes du passé qui lient Louis. Les interventions des guérisseurs auraient gagné, à mon avis, à être plus développé et, je dirai même, que j’aurai aimé que l’on "vende" plus leurs impacts réels et non pas sur le processus de guérison de Louis. Ce qui en ressort de la cérémonie de guérison c’est plus une espèce de placébo pour la psyché. Aller dans les recoins du parapsychique et expliquer les guérisons par l’intervention des esprits de façon plus… ésotérique ?

La cerise sur ce gâteau, plutôt gouteux, c’est la fin du roman qui mérite le détour. Les plus célèbres soap-opéras Hollywoodiens n’auraient pas renié ce dénouement abracadabrantesque plutôt sympa. Bref, ce livre mérite, comme tous les livres d’ailleurs, un regard intéressé de par ce thème de la coexistence entre l’ancien et le nouveau et de la manière de guérir des drames grâce à une médecine à taille humaine.


"La maison des épices"

Nafisatou Dia DIOUF

Mémoire d’encrier, 2014


Voir en ligne : PALABRES AUTOUR DU ROMAN : "La maison des épices"