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JET D’ENCRE

Le bal des débutants - Plongée dans les sociétés secrètes

Nadia ORIGO

lundi 7 avril 2014, par Doszen

Petit roman (80 pages) paru en autoédition puis réédité par les éditions La Doxa en 2012, "Le bal des débutants" est un objet littéraire troublant. Troublant parce que difficile à juger et donc à donner une appréciation globale. D’abord, les choses qui fâchent sont largement dû à l’aspect "autoédition" mais que l’on retrouve aussi chez les éditeurs margoulins, c’est cette sensation que l’auteure n’a pas bénéficié d’un vrai travail d’édition.
Bien que crachant régulièrement ma bile sur ce métier à cause de tous ceux qui l’ont dévoyé et se sont transformés en marchand de pommes, je ne sais que trop qu’un auteur a besoin de l’acuité d’un œil extérieur. Ce regard n’a pas, à mon sens, à être celui d’un autoproclamé "professionnel" de l’édition, mais il faut un avis sans concession de gros lecteurs pour aider l’auteur à sortir de lui-même et à considérer ses écrits sous un autre angle. Nadia Origo, l’auteure, ne semble pas en avoir bénéficié. Le côté "manuscrit à peaufiner" de ce roman hurle cet état de fait. Non pas par les coquilles orthographiques – rares – mais bien dans ce que certaines approximations qui auraient gagné à être corrigées :

  • l’impression que l’on saute parfois du coq à l’âne quand certains thèmes et/ou personnages éruptent au milieu de la lecture mais ne sont pas développés autre mesure.
  • le constant changement d’interlocuteurs sur un récit qui passe sans cesse du narrateur omniscient extérieur ("il") au monologue intérieur ("je") puis au témoin extérieur ("il").
  • des temps utilisés qui ne sont pas toujours cohérents entre utilisation du passé composé et du présent sans transition logique.

Bref, d’un point de vu de la forme, ce n’est pas catastrophique mais ce n’est pas non plus une franche réussite.

Le contraste avec le potentiel de l’histoire racontée est d’autant plus grand. Nadia Origo est une auteure à l’imagination très fertile. Elle nous raconte dans ce – trop – court roman l’ascension de Martial Bitoukou au sein d’une société secrète, les Monolistes. Fils aîné d’une mère qui a perdu son mari et qui ne réussit pas toujours à lier les deux bouts de mois avec ses deux enfants, Martial est recruté dès la sortie du lycée. Le roman commence avec sa participation à ce qui est "le bal de débutant", et l’auteure nous brosse le portrait des différentes personnes qui compose cette société secrète. Entre ceux qui y sont de "plein droit" par héritage familiale – on croirait voir la description de l’ENA français – , ceux qui sont recrutés de par leurs potentiels ou ceux qui ont gagné leur place en rendant des services plus ou moins avouable à la société des Monolistes ; tous les nouveaux considèrent cet adoubement comme la chance de leur vie. Sauf Martial.

Cependant, comme se laissant trainer par le cours des choses sans vraiment résister, Martial se laisse happer. Il faut dire qu’appartenir aux Monolistes c’est la garantie de voir les portes de la réussite s’ouvrir. Les Monolistes sont partout. Dans les cabinets ministériels, dans les banques, dans la police… ils sont partout. Et grâce à eux Martial Bitoukou va avoir un parcours de vie banalisé.
Études en Europe, retour au pays avec un poste enviable, mariage avec sa belle d’enfance. Toutes les portes s’ouvrent devant lui et il se laisse porter d’autant plus facilement que pendant les premières années d’appartenance à la société secrète rien ne lui est demandé. Bien sûr, il entend les rumeurs à propos des trafics glauques en tout genre (menstrues, pertes féminines, sacrifices humains…) mais rien ne lui est demandé si ce n’est de participer régulièrement à des cérémonies ésotériques sur lesquelles il porte un regard perplexe.
Évidemment, cette situation de dedans-dehors ne pouvait pas durer éternellement. Le jour où le gourou suprême, Le Victus Malia, le fait convoquer et exige de lui le sacrifice ultime, Martial se retrouve au pied du mur…

Cette histoire de société secrète, avec toutes les descriptions, notamment les portraits des différents membres des Monolistes est très prenante et le potentiel pour en faire un "truc énorme". Hélas, j’en ressors avec le même sentiment que j’ai eu en lisant le E 414 du romancier Kaar Kaas Sonn, la sensation que l’auteure est trop vite allée à la publication et qu’elle n’a pas pris le temps d’explorer encore plus cet univers des Monolistes, de pousser encore plus son imaginaire, de densifier ses personnages.

Ma lecture du roman "Le bal des débutants" peut ne sembler faite que de bémols mais il n’en est rien. En fait c’est le reflet, en même temps, du plaisir que j’ai eu à le lire et, pour l’amateur de récits ésotériques que je suis, du sentiment de frustration qui m’habite. Je vous invite donc, vous lecteurs, à découvrir l’univers particulièrement imaginatif de Nadia Origo et d’en sortir en vous demandant comme moi "vrai ? Pas vrai ?" avec un désagréable frisson de peur qui remonte le long de votre échine. Brrr…


Le bal des débutants

Nadia Origo

Édition La Doxa, 2nd tirage 2014