Les seules limites sont celles que nous nous imposons

Accueil > Mes lectures > Le vieux nègre et la médaille - de ces vies coloniales

Jet d’encre

Le vieux nègre et la médaille - de ces vies coloniales

Ferdinand OYONO

samedi 10 novembre 2012, par Doszen

Le vieux nègre. Ce vieux Méka. Retraité militaire de la première guerre mondiale. Nous rions de lui, au début. Nous rions de lui et de ses congénères. Au début. Tous ces pauvres hères que l’annonce d’une récompense “médaillante” faite à Méka, met en ébullition.
Méka. Homme entre deux âges que les colons catho ont transformés en "bon" chrétien, tout acquis à la cause religieuse. Le vieux ne se sent plus de joie quand l’administration coloniale lui annonce sa prochaine décoration par "le chef des blanc".

Il avait eu la grâce insigne d’être le propriétaire d’une terre qui, un beau matin, plut au bon Dieu. Ce fut un père blanc qui lui révéla sa divine destinée. Comment pouvait-on aller contre la volonté de Celui-qui-donne ? Méka qui, entre-temps, avait été recréé par le baptême, s’effaça devant l’huissier du Tout-Puissant.

Dans la première partie de ce « Vieux nègre et la médaille » de Ferdinand OYONO, nous avons le portrait caustique des habitants de Doum, ainsi que leurs voisins, dont la naïveté de nègres colonisés montant en épingle la "reconnaissance de l’ami blanc" nous tire des sourires condescendants.
Nous sourions, nous, lecteurs avachis dans nos moelleux conforts de lettrés occidental – ou assimilés –, à des année-lumières de ces réalités. Nous sourions, en imaginant cette société ancienne qui marie Kélara à Méka avec une décontraction qui révulse

"Voilà ta femme, lui avait-il dit. Tu pourras venir la chercher quand elle sera à point"

Nous sourions, imaginant Engamba, le beau-frère, ainsi que son épouse Malia, marcher nuit et jour vers Doum afin de participer à la gloire du médaillé

- Et toi, ici, intervint Mbogsi, s’il t’arrive quoi que ce soit, il te suffira de dire au commandant que tu es le beau-frère de celui qu’est venu décorer le Chef des Blancs
- ça, c’est la vérité, ponctua l’étranger. Ta famille, tes amis, les amis de tes amis seront désormais des privilégiés. Il leur suffira de dire : "je suis l’ami de l’ami du beau-frère de Méka" pour que toutes les portes leur soient ouvertes. Moi-même qui vous parle, je me sens un peu décoré...

Nous sourions, en imaginant Méka dans sa veste trop grande, taillé "à la mode de Paris" par Ela ventru et grossier, auto-proclamé maitre-couturier.

Nous sourions. Jaune. Agacement et grimace devant cette seconde partie du livre qui nous met mal à l’aise, mal dans nos baskets de noirs à la culture mondialisé, devant ces africains trainés dans la boue par la froide administration coloniale.

Il réalisa qu’il était dans une situation étrange. Ni son grand-père, ni son père, ni aucun membre de son immense famille ne s’étaient trouvés placés, comme lui, dans un cercle de chaux, entre deux mondes, le sien et celui de ceux qu’on avait d’abord appelés les “fantômes” quand ils étaient arrivés au pays. Lui, il ne se trouvait ni avec les siens ni avec les autres.
Il se demanda ce qu’il faisait là. Il aurait bien pu attendre avec Kelara qui était sûrement dans la foule qui piaillait derrière lui et on l’aurait appelé pour lui donner la médaille quand le Chef des Blancs aurait été là. Mais quelle drôle d’idée avait eu le Chef des Blancs de Doum de le placer dans un cercle de chaux ! Voilà une heure qu’il était là, et peut-être même plus. Le grand chef des Blancs n’était pas toujours là.

Nous sommes mal dans nos sourires, tirés par ce Méka narrateur au regard non dupes, au détachement ironique devant ces "remerciements des blancs" qui signifient mise au détritus, après bons et loyaux services rendus à la patrie.
Le retour de bâton de l’inhumain coloniale qui n’a aucun égard pour ces indigènes, le regard sardonique de Méka devant l’attitude de ceux qui partagent sa condition d’indigène et qui voient sa dégringolade après qu’ils l’aient cru arrivé au sommet des gloires blanches. Tout cela nous met mal à l’aise, nous met en colère et l’idée de la solidarité africaine qui résiste à tout suffit à peine à nous apaiser.

« Le vieux nègre et la médaille » est ce genre de livre dont on se délecte tant est fluide l’écriture, omniprésente l’humour et éclairante la compréhension que l’on a, in finé, des vies coloniales. C’est un livre qui nous remet au cœur de l’injuste de ces années dont la banalité quotidienne, violente, se perd déjà dans le brouillard du temps.
Une grande œuvre, dont le propos n’a pas vieilli – ce qui participe peut-être au malaise du lecteur – et qui constitue un de ces ciment du souvenir dont les hommes ont besoin que jamais l’histoire ne se répète. Vœux pieu.


« Le vieux nègre et la médaille »

Ferdinand OYONO
Éditions Julliard (1956)