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Jet d’encre

"Les chroniques de l’empire Ntu" – Fantasy africaine

M’buze Noogwani Ataye Mieko Momi

jeudi 11 décembre 2014, par Doszen

Que l’on le veuille ou non, les littératures des Afriques, du moins, celles du continent mère, sont très jeunes. Non pas que cela soit une raison pour relativiser ou montrer trop d’indulgence dans son avis sur les productions africaines, mais cette jeunesse est sans doute une explication au fait que, dans certaines branches littéraires, l’Afrique en soit encore à des balbutiements. Et l’exemple le plus flagrant concerne le genre "Héroïc-fantasy" auquel l’auteur Momi Mbuzé s’est courageusement attaqué pour tenter de montrer, comme il le dit dans sa présentation, le renouveau de l’imaginaire africain afin de "créer une autre projection des africains sur l’Afrique, et sur eux-mêmes, par le biais de la culture et des arts".

L’auteur s’est attaqué à ce que, en tant que lecteur, je rêvais de lire : mettre dans un contexte africains des histoires de magie, de dragons (ou autre monstres), de guerre de pouvoir… bref, je souhaitais, et je souhaite à tous, de lires des "Games of throne", "Assassin’s Apprentice" ou autre "Seigneur des anneaux". Le souci c’est que le lecteur que je suis fut, dans sa jeunesse pas encore totalement révolue, un féroce lecteur de Fantasy…

Parlons tout d’abord de ce dont ces Chroniques recèlent. Du moins, ce que mon esprit a pu en tirer…
L’auteur nous conte, avec mille digressions, la naissance et l’éclosion d’un empire. En commençant pas la, traditionnelle, carte du territoire dont il est question, ainsi que de de la cosmogonie qui a présidé à la création du monde, de l’empire et, évidemment, du peuple élu.

« Selon la légende d’Egbele le prophète, Ayano le Dieu-Léopard, créa le premier Ntu en arrachant son poil pourpre et en le mélangeant à de la terre de la même couleur, formant ainsi le corps du premier Ntu. Mais l’être créé étant sans vie, Ayano souffla de l’air chaud dans son corps inerte et la chaleur des flammes l’animèrent. » (Page 25)

Dans ses Chroniques de l’empire Ntu, Momi Mbuzé respecte quelques basiques du genre et ce, dès le départ : une Le schéma d’une carte manuscrite du Royaume Ngola dans lequel toute l’intrigue va se situer, un prologue – qu’il eut mieux valu éviter – pour mettre le lecteur dans l’atmosphère du récit et un grand souci du détail quant à la filiation de ses personnages. Toutes les ascendances et descendances sont expliquées avec moult détails, et si au début on admire le sens de la cohérence de l’auteur, très vite on est saturé par le trop plein d’information, le trop plein de détails qui, de plus, cassent le rythme de la narration de façon trop régulière.

« A la mort de Sawati Ier, son fils, dernier né mâle en vie, le prince Ngekalé Sagba Nkofu, lui succéda. La loi traditionnelle de succession fut respectée à la lettre près. L’enfant fut intronisé par toutes les institutions de l’empire : par le conseil des sages et l’assemblée des peuples, ainsi que la prêtresse-mère, Seymelà La Sainte. Mais le nouvel empereur était encore trop jeune pour gouverner et ne pouvait régner avant ses vingt ans. Sa mère, Keesha Afwasi Gboka, assura la régence durant dix brillantes années »
Les chroniques de l’empire Ntu (page 53)

La moitié du livre est une succession d’histoires de prise de pouvoir, de contre-complot, de rois plus ou moins forts, qui sont alignés les unes après les autres avec un flot de détails, frisant le trop plein, sur les structures politiques, l’organisation du pouvoir, des villes, des hiérarchies, etc… trop, trop de choses, de noms, de récits secondaires ; on se perd.

« L’alliance des royaumes rivaux finit par soumettre l’empire Ntu qui devint une sorte de colonie, une terre à piller, peuple à exploiter. Du moins, les territoires qui intéressaient l’alliance et que cette dernière contrôlait, avec à sa tête un roi fantoche et despote nommé Ndosa Koki 1er. Ce dernier régna surtout sur les territoires convoités par les ennemis de l’empire, le territoire de Tshishindo principalement. Mais au bout de dix-neuf années de chaos et de misère, caractérisées par un pillage systématique et organisé des richesses du pays par ses voisins, les Ntus, toutes classes sociales confondues, finirent par réaliser les faiblesses du système qui occupait leur pays.
Les chroniques de l’empire Ntu (page 73)

Au chapitre 16, on commence à avoir une histoire construite, qui monte petit à petit en densité, avec un personnage central, Nehesha, et c’est franchement un soulagement. On a l’impression que l’auteur ne part plus dans tous les sens, même si cette manie d’entrer dans de multiples détails (organisation sociale, politique, structures des villes, du pouvoir…) ne le quitte pas totalement. Nehesha et son exile vers la ville de Mbosi est un passage intéressant où l’on retrouve des codes de la Fantasy matinée d’Afrique qui est du meilleur effet. Mais pendant quelques chapitres, le « complot des 4 » qui intervient au chapitre 10 semble disparaître (pour revenir plus tard) et ça renforce cette sensation d’avoir à faire à un récit décousu. Puis cette fin qui annonce les trois autres tomes…

Bref, comme je l’ai laissé entendre dès le départ, cette lecture m’a été pénible, très pénible. Pourtant je reconnais volontiers à l’auteur, et à ce roman, une vraie volonté de construire un univers complexe, je lui reconnais une énorme richesse d’imagination, et un souci du détail qui montre un vrai travail dans l’élaboration de ce récit (et qui est son principale talon d’Achille), et je suis prêt à encourager ce pionnier de la Fantasy à l’Africaine, mais je ne peux laisser sous silence les nombreux écueils que j’ai rencontré tout au long de ma lecture.
Ma crainte, pour le livre, est qu’elle ne rencontre pas son lectorat par le fait que les vrais amateurs de Fantasy, sont loin d’y trouver leur compte et les autres lecteurs se laisseront – peut-être – perdre dans les entrelacs d’une narration par trop fouillis.
L’auteur, M’Buze Noogwani m’a, cependant, suffisamment intéressé par sa démarche pour que j’ai envie de lire les deux tomes suivants. J’ai envie de voir si les manquements – subjectifs évidemment – de ma lecture ont trouvé solutions dans les suites et s’il a réussi à cadrer son enthousiasme et son imagination débordante.


Les chroniques de l’empire Ntu – Genèse et conquête (Tome 1)

M’buze Noogwani Ataye Mieko Momi

Messages

  • Critique sans complaisance. J’apprécie. J’ai hésité à acheter ce bouquin (dont le prix est relativement élévé). Ce qu’il faut saluer c’est la volonté de l’auteur d’écrire une oeuvre basée sur une épopée africaine. Projet courageux et inédit. Son projet littéraire est à parfaire, d’après la critique que tu en fais. Dommage, que Momi M’Buze se soit précipité à rédiger un tome 2.

  • Super article ! Je decouvre ce site et c’est un plaisir !
    Vous serait-il possible de developper un peu plus sur cette affirmation : "Ma crainte, pour le livre, est qu’elle ne rencontre pas son lectorat par le fait que les vrais amateurs de Fantasy, sont loin d’y trouver leur compte et les autres lecteurs se laisseront – peut-être – perdre dans les entrelacs d’une narration par trop fouillis" ? Selon vous, quelle est la piece maitresse qui manque au lectorat de Fantasy ? Quelle est l’essence de Fantasy qui manque a ce livre ? Est ce dans l’ecriture ? L’histoire elle meme ?
    Vous dites que la narration est trop fouillis, c’est donc bien plutot l’ecriture que le soucis du detail qui rend la lecture penible ?
    Plus globalement, en tant que lectrice et en tant qu’africaine, je vous rejoins completement sur le desir de voir de la Fantasy "noire". Mais je me suis toujours demande : comment un auteur pourrait ne pas tomber soit dans l’imitation de genre soit dans la reprise de contes traditionnels ? Un debut de piste serait selon moi de simplement partir du principe que l’univers est " africain" ( avec des guillemets car bien sur, ca n’a pas de sens en soi...), les personnages aussi, sans en rajouter des tonnes, sans revenir a leur africanite sans cesse... mais les sortir de notre realite d’auteur "ethnique" qui essaye de creer une nouvelle branche au genre, face a la Fantasy "blanche" ou "occidentale"... Certains auteurs non occidentaux ont assez bien reussi, par exemple Amish Tripati et son best seller en Inde de la Shiva trilogy.
    Qu’en pensez-vous ?
    ( Je vous ecris depuis un clavier qwerty, d’ou l’absence d’accents)

  • Bonjour,

    Merci pour la critique (constructive) ! Car je n’en attend pas moins de la part des connaisseurs et amateurs du genre.

    La complexité du premier tome trouve son explication dans le second et son apotéose dans le troisième.

    je n’ai jamais écrit de roman de ma vie donc pour moi c’était comme se jetter à l’eau pour fair ela traversée entre L’Île de Gorée et le Littoral du "Nouveau Monde" (tout un symbole).

    Le vin se bonifie avec le temps... je pense que çà se sent dans le tome trois et... les histoires courtes de la vie des personnes principaux (12) que j’ai déjà entamé. J’ai jugé bon de "donner la parole" à certains personnages que j’ai parfois survolé au profit de Nehesha. Mais ces personnages ont une psychologie (dans la trilogie) qui trouve explication dans leurs vies (enfance jusqu’au contexte des chroniques).

    Donc, je le prend bien, très bien même... avec le sourire. Le meilleur est à venir. Dont d’autres romans epic fantasy et science fiction.

  • Désolé à vous tous d’avoir mis autant de temps pour faire apparaître vos commentaires. Des soucis techniques sur le site m’empêchaient de les voir et de les valider

  • @Kelly "Selon vous, quelle est la pièce maitresse qui manque au lectorat de Fantasy"

    Je pense simplement que le lectorat africain n’a pas encore la "culture" de la fantasy. Quand j’étais gamin, nous étions très rare à nous intéresser aux comics book. Mais les nouvelles générations d’africains sont plu éclectiques je crois.

    @Kelly "Vous dites que la narration est trop fouillis, c’est donc bien plutot l’ecriture que le soucis du detail qui rend la lecture penible ?"

    Les deux. trop de détails et des approximations dans l’écriture.

    @Kelly "comment un auteur pourrait ne pas tomber soit dans l’imitation de genre soit dans la reprise de contes traditionnels ?"

    Je n’ai pas de réponse. ça ne peut venir qu’en lisant ce que les auteurs nous proposerons. Dans ce livre, je pense que Momi Mbuzé ne tombe ni dans l’un, ni dans l’autre. Je crois vraiment que le fond de certaines histoires à peine esquissées auraient pu être très bons, sans que ce ne soit de l’imitation de classiques Héroïc-fantasy. Et, de toute façon, tout le monde s’inspire de quelqu’n pour écrire et y met du sien ensuite.

  • @Momi
    Merci à l’auteur d’avoir pris le temps de lire ma modeste opinion. Le but de ce site est de faire découvrir des livres en essayant d’être le plus franc et honnête possible, sans pour autant penser détenir la vérité.
    Au plaisir de relire une autre de vos oeuvres

    Joss Doszen