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Jet d’encre

« Les flammes de Nder », de Sémou Mama Diop - le préquelle ultime

lundi 22 août 2016, par Doszen

« Tu tiens à ce que je leur présente la longue liste des victimes de Sékou, l’homme qui n’a pas hésité à zigouiller la moitié de son peuple, alors qu’il s’était payé le toupet, quelques mois auparavant, d’ouvrir sa grande gueule pour réclamer la liberté pour ce même peuple ? Non ? Alors ferme-la Moussa Bambara ! Je n’aime pas cette Afrique des Prince de Machiavel. Moi j’ai d’autres guenons à maquiller ! »

« Les flammes de Nder » - Sémou Mama Diop

J’aime les éditeurs. Les vrais je veux dire, ceux qui ne sont pas que des vendeurs de pommes, ceux qui, tant bien que mal, essaient de s’inscrire dans cette définition romantique qui veut que l’éditeur soit un accoucheur de talents (sic !). Et les éditions Athéna-edif, basées au Sénégal, font partie de ces passionnés de la littérature qui essaient d’accompagner leurs auteurs pour qu’ils produisent le meilleur. Et de temps en temps, il faut leur rendre hommage. Bien que, dans le cas présent, je partage cet éditeur avec l’auteur Sémou Mama Diop, j’assume parfaitement le fait d’être juge et partie.  :-D

Revenons donc au livre. Livre que j’ai absolument voulu lire dès sa publication ; d’abord parce que je fais confiance à l’éditeur, mais surtout parce que j’avais ouï-dire que l’auteur, au Sénégal, sentait un peu le souffre car une de ses œuvres avaient été censurée par les autorités en place. Il n’en fallait pas plus pour attiser ma curiosité, évidemment. :-)

Je ne connaissais pas, honte à moi, l’histoire de ces femmes, les femmes de Nder, qui, pour fuir l’esclavage, préférèrent s’immoler plutôt que de se voir avilir. Pour échapper aux razzias des Maures dans la province du Walo, les femmes se sont retranchées dans une case, non sans s’être farouchement battues contre des guerriers sanguinaires, et elles se sont immolées. Dure et violente tragédie. Sémou Mama Diop nous amène deux siècles après ces événements, et fait une relecture du courage des femmes de cette région au travers d’une histoire plus contemporaine, beaucoup plus ancrée dans notre actualité sanglante ; celle du djihadisme.

« Un vent doux et langoureux s’annonça. Son souffle était similaire aux chuchotements galants d’un amant épris. Bientôt, les vieux, sous la houlette du Doyen, sortiraient leurs chaises pliantes et leurs grands damiers et traineraient leurs articulations grinçantes au centre de la place pour deviser et se distraire à l’ombre du grand badamier. »

Le récit démarre avec un lyrisme assumé, très beau à lire, mais peut-être un peu excessif, qui frise le sirupeux. Très vite la narration bascule (ou alterne avec) sur du dialogué beaucoup plus direct à la façon d’un polar. En fait, ce début de récit me fait penser au livre "Du feu pour les honneurs" de Samba Saphir. Autant elle était, à mon avis, très douée pour les parties dialoguées, autant la narration me paraissait assez verte. Pour "Les flammes de Nder", c’est l’inverse. L’auteur est extrêmement fort dans les parties narrées. Très lyrique parfois et l’écriture est maitrisée. Les dialogues moins.

« La réussite du voisin donne la mesure de leur médiocrité. Mais puis qu’ici personne n’assume la responsabilité de son propre échec, c’est forcément celui qui vrille qui leur a ravi, par quelque sortilège, la lumière. »

En entrant plus dans l’histoire on ne peut s’empêcher de penser à "Terre ceinte", du prodigieux Mohamed Mbougar Saar. Sémou Mama Diop, avec un style totalement différent, réussi une sorte de préquelle de ce "Terre ceinte" qui campe le destin d’une terre envahie et administrée par des djihadistes. Le roman "Les flammes de Nder" choisi de mettre en scène une ville qui, petit à petit, de façon sournoise, en profitant de la faiblesse des hypocrisies des anciens qui devraient être les protecteurs des peuples, garants des limites à ne pas dépasser, se laissent enfermer entre les serres d’une poignée de radicalisés par opportunisme.

Sémou Mama Diop fait un très beau travail sur les différents personnages qui nous content cet envahissement sournois. Tous sont pensés, campés droits dans leurs courages et dans leurs faillites. Notamment le touchant Alioune, qui se désole de son pays qui se jette sans résister dans les bras des extrémistes (même si son affliction, tôt dans le roman, m’a paru un peu excessive pour une petite altercation...).
Le personnage de Salif, alias Gibson, le poivrot du quartier. Son histoire est dure, émouvante. On est dans un mix entre le Fessologue du roman "Black bazar" et l’alcoolique écrivain de "Verre-Cassé" (Alain Mabanckou).
Le portrait de Bouba, le fils bon à rien du marabout extrémiste qui pense profiter de la montée des rigoristes pour prendre sa revanche sur la vie, est succulente. Viré de l’école car trop, mais vraiment trop con, il fait une vaine tentative de surfer sur du PBS (Positif Black Soul) ou du Daara J en wannabee star du micro, il s’essaie en footballeur de navetanes (ndrl : tournois de foot de quartier, très populaires à Dakar notamment) en espérant un destin à la El Hadji Diouf... Bref, ce type est un raté intégralement caricatural. Portait presque fidèle de nombreux radicalisés hexagonaux de ces dernières années.
D’ailleurs, tous les médias français qui parlent de "radicalisation express" pour des types qui ne sont apparemment que des psychopathes hyper violents, devraient lire "Les flammes de Nder" de Sémou Mama Diop et s’attarder sur le personnage de Badou qui semble faire écho à l’actualité. Si je n’étais cartésien je penserais que l’auteur est une sorte de Nostradamus de la Teranga.

« À Nder, la misère avait nourri chez certains les ressentiments les plus profonds, drainé dans les méandres ténébreux de leur esprit de morbides élucubrations, forgé dans leur cœur une rancœur immarcescible envers ceux qui, malgré les vicissitudes de l’existence, affichaient le sourire de la félicité et présentaient les signes matériels de réussite. »

La première moitié du livre est plutôt narrative et descriptive, bien que très bien menée. L’histoire, en second tiers, change radicalement de rythme. Le retour de Sidiya, le fils de Fatim, la femme puissante, en une sorte de John Rambo qui s’en revient à Nder en quête de vengeance. On bascule dans cette partie, "La traque", dans une projection chronologie, en avril 2017, en forme de polar sur-vitaminée. Un mix entre "Le justicier dans la ville" avec l’imperturbable Charles Branson et le Rambo 2 de Stallone. Déroutant mais plutôt sympathique. Et la fin de ce roman se voulait beaucoup moins elliptique que "Terre ceinte" et un peu plus hollywoodien également. Cela peut troubler, mais moi, j’aime !

Nder, donc, est cette ville qui voit, lentement, monter l’intolérance et l’extrémisme, très influencées par les groupes djihadistes mauritaniens. Avidité, jalousie, envie vont faire face à la volonté des femmes de ne pas accepter l’ignominie sur elles, premières cibles des pervers et des violeurs en puissance qui se cachent derrière la religion. Une dernière partie, très revenge-movie, vient nous rappeler que la littérature est, au-delà de son rôle de dénonciateur, surtout l’occasion d’un beau moment de détente.

"Les flammes de Nder" de Sémou Mama Diop est donc un très, très bon moment de lecture. Une immense belle surprise. Quelques dialogues un peu faibles, une foultitude de personnages qui perd, un peu, au début, mais ce ne sont que bémols négligeables. Cette voix que je découvre est talentueuse, courageuse et totalement dans son temps. C’est encore là une vraie perle du futur littéraire africain.


"Les flammes de Nder"

Sémou Mama Diop

Éditions Athéna-édif