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Jet d’encre

Opium Poppy - une enfance dans la guerre

Hubert Haddad

vendredi 17 janvier 2014, par Doszen

Certains romans nous déstabilisent car l’admiration suscitée par la beauté de l’écriture se dispute avec la frustration née d’une impression d’inaboutie, de potentiel sous-exploité ; le "Opium Poppy" d’Hubert Haddad me laisse ce sentiment.

C’est l’histoire d’un enfant, d’un gamin qui ne porte pas de nom. Enfin, pas vraiment puisqu’on l’a affublé du surnom de "l’Évanoui" dans le petit village Afghan qui l’a vu naître, puis il hérita du nom d’Alam, celui de son frère sacrifié sur l’hôtel de la formation d’enfant-soldats. C’est une histoire qui oscille entre plusieurs strates temporelles, formant le tableau de la vie d’un gamin ballotté de son village de cultivateur de pavot, à la vie d’enfant de rue de Kandahar, à celle de prisonnier d’un centre de rétention, pour finir à dans les gouffres de la vie de sans-papiers parisien trafiquant d’opium. La boucle est bouclée.

"Dans les montagnes et les hauts plateaux du Kandahar, la vie est une embuscade permanente. On y dévore ses larmes à l’ombre des cadavres."

Hubert Haddad nous livre une fresque dure et déprimante en nous faisant suivre les pas de ce gamin dont la vie n’offre aucune once de lumière, aucun espoir n’émerge. Même l’écriture se veut sombre et déprimante. Déprimante par les mots utilisés mais aussi dans ce désir de l’auteur d’alterner entre flash-back et temps présent qui, au final, s’avère contre-productif car l’on se perd souvent. L’histoire s’avère assez difficile à suivre tant le récit saute du coq à l’âne sans toujours nous donner les clefs de compréhension tout de suite.

L’écriture, je l’ai dit, est belle. Le talent littéraire est indéniable et sans connaitre l’œuvre d’Hubert Haddad, l’on sent que c’est un auteur qui cherche la punch-line, la phrase choc qui reste dans le cerveau, celle que l’on voudrait mettre en profil Facebook pour faire étalage de sagesse. Et évidemment, comme c’est le cas pour un politique en mal de buzz médiatique, cette recherche constante de la belle tournure donne vite une impression de remplissage. Dans sa lecture on a parfois l’impression d’être abreuvé de mots qui n’apporte rien à l’histoire, au contraire, la transforme en – jolie – bosquet trop touffus pour que l’on en apprécie la beauté.

"Même s’il regrettait les leçons du maître venu de la ville, il savait qu’il ne résisterait pas longtemps au désir de brandir un fusil. Dans ce pays, l’écorcheur de moutons ne peut être qu’un mouton récalcitrant."

L’histoire de l’Évanoui est forte. On est avec lui quand les bombes tonnent sur son village. Quand le frère se tourne vers le djihadisme radical on partage son scepticisme, quand Malalaï est défigurée car trop belle et trop libre on partage sa douleur, quand il patauge dans les égouts de Paris en quête d’un endroit pour survivre on partage son angoisse, et l’on est plein de compréhension quand devant son regard déshumanisé par la vie.
Mais… il y a un mais… l’impression de gâchis d’une histoire qui aurait pu être autrement plus dense demeure. Quand on lit "Opium Poppy", l’adage "qui trop embrasse mal étreint" nous accompagne tant Hubert Haddad aborde de sujets qu’il se contente de survoler. Tout arrive à ce gamin – ce qui pose un problème de crédibilité vu que l’histoire s’arrête quand il a 12 ans, mais bon... –, et tout semble raconté trop vite. L’on aurait aimé plus de détails de comment il passe de cette vie à l’autre, ce qu’il ressent ; la peur, le doute, le chagrin ; sont trop vite évacués. Ce qui fait que l’on ne s’attache pas vraiment à cet enfant qui vit pourtant des évènements fort durs.

"A quelques mètres, derrière ces murs, évoluait une merveille de la vie, une créature de lumière que le deuil barbare de ce monde contraignait à se camoufler. "

"Opium Poppy" est donc un – trop – court récit qui nous permet de suivre la petite vie d’un enfant qui est plongé dans la grande histoire. On est plongé dans la folie des enfants, dans la violence de la vie et l’injustice d’un destin qui fait naître certains dans les mauvais siècles et les mauvaises terres.
"Opium Poppy" a aussi été une lecture rendue parfois laborieuse par la lourdeur de l’écriture, frustrante par le survol trop rapide de certaines situations qui auraient mérité d’être creusée (La petite rwandaise Diwani…), ou des drames qui n’arrivent pas à nous étreindre l’âme (Malalaï…) car trop vite balayé, et cette sensation de trop et pas assez que nous laisse le roman.
Cependant, ce livre a le mérite de nous rappeler que nous sommes – tous – capables des pires atrocités sous le couvert d’amour, divin ou autre. Que derrière les révolutions se cachent souvent l’appât du gain et l’exploitation des peuples. Que les démocraties riches cachent les maladies de la solitude, de la violence et de l’indifférence. Le parcours du petit Évanoui ne saurait nous laisser indifférent.

"Attirés par une silhouette derrière la vitre, leurs regards se perdent. Un éclair de connivence traverse ce vis-à-vis muet. Quelqu’un marche en bas, sur la pelouse. C’est le gosse sans nom, celui qu’on appelle Alam. Il a l’air de compter ses pas, comme pour situer un trésor enfoui. Tout le monde au Centre s’inquiète de lui, de ses yeux fixes, du silence qui l’entoure. A onze ou douze ans, il ne s’amuse de rien, ses lèvres remuent des cailloux de syllabes, ses deux mains semblent crispées sur une pierre très lourde qui lui brise les côtes. Toute son attention se tourne vers le ciel ou la terre, dans l’ignorance appuyée des gens. Rien ne lui échappe pourtant. On dirait qu’il s’imbibe en éponge des présences. Et puis il disparait dans un souffle de fantômes."


"Opium Poppy"

Hubert Haddad

Édition Zulma (folio), 2012

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