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Jet d’encre

René – Un préquelle de Mad Max à la française

Disiz La peste

mardi 4 septembre 2012, par Doszen

Belle surprise. Ceci est une de mes plus belles surprises de l’année.
Ne nous trompons pas, il ne s’agit pas de dire que ce roman est "magical-génial" – quoi que… mais j’y reviendrai plus bas – mais je dois avouer avec honte qu’en commençant ce livre écrit par une star du rap je m’attendais encore à une de ces auto biographies donneuses de leçon du "mec-qui-s’en-est-sorti-du-ghetto" dont nous abreuvent trop souvent les éditeurs. Vous savez, ces livres qui sont destinés à la classe boboïste parisienne qui peut s’extasier sur "ces jeunes qui, EUX, prennent l’ascenseur social – artistique – avec courage" (Sic) et que, en général, les "jeunes" soi-disant visés ne lisent pas.
Mais la question du lectorat est une autre histoire…

Revenons à "René" du sieur Disiz dit "La Peste", rappeur au sens de l’humour certain et que je classe volontiers parmi ceux qui réfléchissent avant de pondre des textes, au même titre que des Solaar, Oxmo, Akhenaton et quelques-uns qui se comptent sur les doigts d’une main.
Revenons donc à "René", roman sorti en mars 2012 aux Éditions Denoël et qui conte en parallèle des vies – torturées – qui vont s’entrechoquer. 2 vies et de nombreux personnages clefs, dont le plus important est sans doute l’environnement qui accueille cette histoire.
An 2025. Une atmosphère post guerre civile type pré-Madmax ou Sin-city. La France est revenue à une monnaie nationale – le FREU ou Francs européen. Il y eu a abaissement de la majorité civile et pénale à 14 ans, adoption d’une loi sur la francisation obligatoire des prénoms, création d’une RAT – police aux méthodes extrêmement agressives –, caméras de surveillance dans toute la ville, etc… bref, un état policier d’une extrême violence faisant échos à une paupérisation aussi extrême des populations.
Des mois de révolutions urbaines enflamment le pays après que des pouvoirs de droite de plus en plus dure aient pris les rênes du pays, brisés toutes les digues humanitaristes français.
Le quartier des Orfèvres fut le centre de cette révolution qui finalement va être tuée dans l’œuf par la décapitation de sa tête pensante. Le temps est au référendum sur le retour de la peine de mort sur fond de potentiels marchés publics qui se chiffreraient en millions.

Les autres protagonistes phares :
D’un côté nous avons Balna, ex bras droit du leader charismatique qui a mené les cités au feu, Abdoulaye dit le Ché noir. Bras armé privé de la tête, Balna s’est changé en fantôme vivant dans l’ombre de son passé glorieux de révolutionnaire, il s’est vautré dans la violence extrême et gère tous les trafics des quartiers en pantin du pouvoir qu’il a combattu.
De l’autre, René, petit être gracile, fragile, que sa mère alcoolique et droguée a quasiment séquestré dans son appartement toute son enfance afin que le quartier ne le détruise pas "comme il l’a fait avec elle". Il a 13 ans, il s’intéresse aux informations à la télé. Il fait partie des moins de 10% (à la louche) de pré-ado encore puceau dans un environnement fait de sexe-drogue et violence. Il lit encore des livres sur son écran d’ordinateur, bien que Disiz eut pu parler plutôt de "liseuses" ou une techno similaire au lieu de fichiers pdf stockés sur clefs. Nous sommes en 2025 que diable !

Tout bascule le jour où les pas de René croise ceux de Edgard, 14 ans, extravertis, violent, accroc au sexe, et totalement plongé dans le business. Le jeune "bien dans son temps" prend sous son aile l’espèce de petit rat perdu et hors du temps qu’est René et le tire dans son sillage à la découverte de ce nouveau monde où les gamins de 14 ans peuvent être envoyé dans des prisons pour adultes, où les soirées DVD sont des visionnages, sur le Net de vidéos type Jakass extrême : tortures, viols, meurtres, actes de barbaries…
Des mignonnes histoires d’amour - Jeanne - qui ne résistent pas au quartier, des histoires de sexe - Faustine - qui sont finalement plus que ça, des amitiés qui naissent entre brutes et journaliste intègre, une quête du père mythifié par l’histoire… Le roman nous tient en haleine de bout en bout et fait monter la pression crescendo. Nous savons qu’il va se passer quelque chose, impossible d’arrêter de lire !

René est un vrai roman d’anticipation dans lequel Disiz décrit de façon magistrale une atmosphère de chaos généralisé, d’anarchie et d’un mélange détonnant d’interdit et de permissivité.
Nous lisons en ayant devant les yeux des images d’une société qui va lentement mais surement vers une ère apocalyptique digne d’être défini comme une espèce de préquelle aux Mad Max (je l’ai dit) ou "La Route", le roman de Cormac McCarthy.
L’intrigue est bien construite, l’évolution psychologique du jeune innocent qu’est René est crédible et cohérent. Balna, la brute aurait mérité que l’on creuse plus son parcours plein de contradictions mais il réussit à nous questionner sur :
qu’en est-il des révolutionnaires – violents – une fois que la guerre est finie ? Qu’elle ait été gagnée ou perdue d’ailleurs. Et surtout, que vaut une révolution quand elle n’est, en fait, portée que par une seule personne qui possède la conviction idéologique ?

"René" est un très bon moment de lecture. Ce n’est ni un roman "sur la banlieue", ni un ersatz de roman noir que l’on a fait signer par une "personnalité de banlieue". C’est un bon roman d’anticipation, écrit de façon fluide et dynamique, qui évite les écueils d’un excès de langage "d’jeuns" tout en ayant un vocabulaire qui colle au contexte. Si l’on aime le polar, le roman noir, les textes d’anticipation sombres le livre vaut le détour. Comme dirait Edgard, "ce n’est pas du foutage de gueule".