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Jet d’encre

« Vous mourrez dans dix jours… » de Henri Djombo, ou la dramaturgie de la fin

Henri Djombo

lundi 16 novembre 2015, par Doszen

"Surmontant ses rhumatismes qui ne la quittent pas depuis une décennie, ma grand-tante s’est rendue chez moi pour emprunter, disait-elle, un congélateur, un réfrigérateur, un téléviseur et d’autres appareils électroménagers nécessaires à son petit commerce. Devant l’intransigeance de mes employés, elle se fit insolente. De toutes façons, selon elle, je n’emporterais pas avec moi, dans la tombe, ces biens et les milliards de dollars de ma fortune. D’ailleurs, ces appareils figuraient déjà sur sa liste d’héritage dans le cadre du partage de mon patrimoine."

« Vous mourrez dans dix jours… » - Henri Djombo

Henri Djombo est un politique congolais. Plusieurs fois ministre et impliqué dans les affaires publiques. Pourquoi débuter par son statut, chose que je ne fais jamais pour les autres auteurs ? Pour prévenir les lecteurs de cette chronique que mon avis, hautement subjectif, pourrait être négativement impacté par ma connaissance du statut de l’auteur. La première raison ; J’ai un très fort penchant négatif pour tous ces politiques congolais qui aiment la posture "d’écrivain". Je ne rigole pas. Au Congo c’est une quasi religion pour les politiques que d’avoir publié. Ils s’en moquent d’être lu, ils veulent juste rajouter "écrivain" sur leur CV.

En fait, les politiques congolais n’en ont rien à faire du livre. C’est là, la seconde raison de mon ressentiment. Le Congo est, sans doute, le pays en Afrique qui compte le plus d’écrivain-politiques mais c’est aussi l’un des pays dans lequel la politique du livre et la politique de promotion de la lecture, sont quasi inexistantes. Pendant des années tous les politiques ont bombé le torse en se présentant comme étant des "intellectuels écrivains" et aucun d’entre eux, bien qu’ayant les mains plongés dans le pouvoir jusqu’aux coudes, n’a jamais rien fait pour la politique du livre. Les gamin-lecteurs au Congo n’ont toujours d’autre solution que l’éternel Institut Français ; la Bibliothèque de l’Université Marien Ngouabi étant d’une pauvreté insultante, le Centre Sony Laboutansy – grand auteur congolais – n’ayant pas de livres !
Bref, les auteur-politiques congolais me sortent par le nez, mais j’ai décidé d’affronter mon allergie en les lisant, histoire d’essayer de faire la différence entre les hommes et leurs arts.

Ce « Vous mourrez dans dix jours… » de Henri Djombo avait pourtant un titre qui annonçait une belle couleur. Le 4ème de couverture était plutôt alléchant, la couverture est belle (et j’y tiens beaucoup, à l’effort fait sur les visuels) et le début de la narration est plutôt dynamique et entrainant.

Le synopsis : Un homme d’affaire, plutôt aisé et instruit, reçoit un jour une lettre anonyme lui annonçant sa mort dans les dix jours qui suivent.Là, tout bascule pour lui. Dans son cerveau l’inquiétude se fait angoisse, l’angoisse se fait frayeur. Pendant les dix jours qui lui restent à vivre, il se calfeutre chez lui et fait le film de sa vie passée, mais surtout, celui de ce futur "après lui", et de tout ce que subira, probablement sa famille, une fois qu’il ne sera plus.

C’est dans cette projection de ce qui risque d’arriver que réside tout l’intérêt de ce livre. Quand on est congolais, on connait les mœurs arriérés et barbares de certaines ethnies concernant le traitement réservé à la veuve et l’orphelin dans ce pays. La famille qui se déchire, les biens dilapidés, les cérémonies de veillée du mort qui se transforment en véritable bacchanales sur le dos du défunt, etc… Ce livre montre aussi que la déchéance des cultures se mesure au niveau de (ir)respect qui est porté aux morts. Pour cet aspect anthropologique, ce livre mérite d’être mieux connu, et lu.

Cependant, cependant… Ce livre est par trop truffé d’incohérences pour être une fiction satisfaisante. Le récit des mœurs et une réussite, mais le "roman" est un ratage complet.
Le personnage. Tu reçois une lettre, anonyme, te menaçant de mort dans les dix jours, avec une balle dans l’enveloppe, et tu ne trouves rien de mieux que de plonger pendant deux chapitres dans des atermoiements et des réflexions métaphysiques puis d’aller tranquillement te coucher, la peur au ventre !! Tu es un homme d’affaire, lettré, et tu ne te dis pas qu’il faudrait aller voir les flics... Le fil rouge de la menace est un peu trop téléphoné, on y croit pas une seconde !

Et dans le style, exactement ce que je n’aime pas : multitudes de phrases descriptives fades et bateaux... Une scène de sexe que l’auteur n’assume pas de devoir écrire et il se cache derrière un pseudo lyrisme pour nous faire passer ce qui n’est que vulgaire sexage d’un quinqua avec une gamine venue jouer les infirmières. D’ailleurs, cette intrusion de la gamine infirmière "amoureuse" du millionnaire quinqua qui tente de "résister"… Ratage.

De nombreuses incohérences qui montrent que l’éditeur n’a pas vraiment fat son travail de relecture, réécriture, notamment avec le décompte des jours où on se rend compte que l’auteur s’est trompé.

Pourtant, malgré mes réticent, ce livre vaut toujours la lecture. Le propos m’intéresse. la dénonciation de nombreux travers culturels congolais est très intéressante. Ces mœurs brutaux qui favorisent la spoliation de la veuve et de l’orphelin, ces croche-pattes fait à ceux qui émergent par la force du poignet, ces systèmes qui vous tirent vers le médiocre et la fange de la corruption... Le propos est bon.
Mais l’art de la fiction prend un coup.
Peut-être aurait-il mieux valut penser ce texte comme un récit, à la façon du "Congo" de Eric Vuillard, plutôt que de nous vendre un roman. Si roman il y’a, il est raté. Intrigue incohérente, psychologie du personnage incohérent, des pages et des pages d’élucubrations abracadabrantesques sortis du cerveau de l’auteur.
Rectification : ce ne sont pas des propos abracadabrantesques, ce sont des "Coelhoïsmes". Cette manie, popularisée par Paolo Coelho, de balancer des phrases attendu et gnangnan en forme de "leçon de vie". Ces quasi copier/coller du "Livre des Proverbes" biblique qu’affectionnent nombre d’auteurs congolais qui mélangent allègrement religiosité et "sagesse africaine" très donneuse de leçon.

Pourtant, une fois encore, le livre mérite la lecture car il fait parti de ces ouvrages qui nous aident à mieux connaitre l’autre et qui aide(raient) certaines cultures en servant de miroir.

"Surmontant ses rhumatismes qui ne la quittent pas depuis une décennie, ma grand-tante s’est rendue chez moi pour emprunter, disait-elle, un congélateur, un réfrigérateur, un téléviseur et d’autres appareils électroménagers nécessaires à son petit commerce. Devant l’intransigeance de mes employés, elle se fit insolente. De toutes façons, selon elle, je n’emporterais pas avec moi, dans la tombe, ces biens et les milliards de dollars de ma fortune. D’ailleurs, ces appareils figuraient déjà sur sa liste d’héritage dans le cadre du partage de mon patrimoine."


« Vous mourrez dans dix jours... »

Henri Djombo

Éditions Hémar (Présence africaine)