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JET D’ENCRE

Soif d’Europe - ... les chemins de l’Eldorado

Omar BA

vendredi 9 août 2013, par Doszen

J’ai pourtant essayé. J’ai essayé très fort mais j’ai failli. J’ai essayé de lire ce livre en faisant fi de l’histoire parallèle qui a entouré sa publication, j’ai tenté d’oblitérer de ma mémoire le scandale causé par l’auteur de cette "biographie" éditée en 2008, mais c’était quasiment impossible. Impossible de lire cet ouvrage sans chercher la petite bête, sans tenter de débusquer l’incohérence, la faiblesse du propos ou du style. Donc, plus encore que les fois précédentes, ma vision de ce livre est sujette à une subjectivité absolue, absolument négative. J’en suis désolé.

Le contexte, je vous le brosserai au fil de mon propos, mis hors-jeu pour l’instant, parlons de ce "Soif d’Europe" proposé par Omar BA en 2008 (éditions du Cygne), en gardant en mémoire qu’il a été présenté au monde, et pas seulement sur le quatrième de couverture, en ces termes ; « Dans ce livre il nous raconte, avec ses propres mots, une histoire vraie, la sienne, et nous explique pourquoi il a risqué sa vie pour étancher sa "Soif d’Europe". »
Le narrateur est un jeune dakarois qui décide, comme nombre d’autres jeunes en mal de succès, d’immigrer en Europe par les voies les plus extrêmes. Il raconte plusieurs épisodes de sa tentative d’atteindre son Eldrorado, tentant sa chance aussi bien à la pirogue avec l’Ile italienne de Lampédusa en objectif, soit en tentant Mélila, en Espagne, et tout cela en n’omettant pas ses pérégrinations à travers les points chauds du trajet migratoire illégale : Dakhla, Gao, El Jadida, Rabat, Benghazi, etc… tous les lieux que nous voyons quotidiennement dans les médias occidentaux, tous ses lieux censés être sur "le chemin des épices" des jeunes africain du 21ème siècle y sont.

« La nuit tombe progressivement. Les dernières pirogues ont déjà accosté. Les joyeux enfants sont partis ; les sportifs qui courent le long de la plage aussi. Le bord de mer se vide petit à petit. Seuls quelques couples d’amoureux s’attardent pour profiter du magnifique coucher de soleil. L’heure a sonné pour moi. Fini le décor idyllique. Les choses sérieuses commencent. Je vois des jeunes gens jusqu’alors cachés quitter les dunes et les arbustes de la plage. Ils affluent vers les pirogues. Sur celle-ci est écrit "Air Europe". »

Et là, les premières interrogations surgissent, celles bien basiques, non pas liées à la connaissance des lieux évoqués, que le lecteur lambda que je ne suis ne saurait connaitre, mais simplement sur certaines situations hautement improbables pour qui prend le soin de réfléchir aux lieux que le voyageur mentionne.
La première alerte vient de cette anecdote où le Voyageur dit avoir gagné près de sept cent euros en étant vendeur à la sauvette à Benghazi, en trois semaines de présence… Sept cent euros en trois semaines. On se demande alors, pourquoi ses jeunes veulent émigrer s’ils peuvent gagner autant d’argent en vendant « des beignets sur la plage le jour. La nuit je suis veilleur dans un entrepôt de poissons. »

« Après s’être bien occupé de moi, la patronne propose de m’employer comme agent de nettoyage à la maison et au restaurant. Elle s’engage à me payer quarante mille francs CFA par mois, soixante euros à peu près. J’accepte sans réfléchir. Depuis mon départ de Dakhla, mes économies fondent à vue d’œil. Cet emploi est un moyen de gagner plus d’argent et de continuer mon périple. »

Il ne s’agit pas ici de refaire l’analyse de ce livre et de démonter la supercherie de ce qui fut présenté comme "une histoire vraie", Internet fourmille d’articles sur le scandale de l’époque (exemple :http://www.lexpress.fr/actualite/societe/omar-m-a-berner_773366.html), mais essayons de nous attarder sur l’aspect littéraire de la chose.
Cette épopée aurait pu constituer un magnifique roman s’il avait pu être écrit par un auteur de talent. L’auteur a manifestement tendu son oreille à de nombreux résidents de foyer SONACOTRA et autres lieux où la densité d’immigrés sans papiers permet de récolter des informations sur les chemins de croix de l’immigration illégale. Les anecdotes relatées sont tour à tour prenantes, drôles, révoltantes.

« J’en veux à mon pays de n’avoir pas pu me montrer une raison de ne pas prendre le chemin de cet enfer. J’en veux à mon cœur de continuer à battre. Il m’agace. J’en ai après ma respiration qui ne stoppe pas. Mes oreilles n’entendent plus que le cliquetis des grains de sable qui y élisent domicile. Mes yeux ne voient que du feu. Le désert n’est pas qu’une succession de brûlants mirages. Il est bien réel, là devant moi et en moi. Il cuit lentement ma chair me faisant bien endurer ses affres. »

Les moments de détresse, notamment quand le Voyageur se retrouve au milieu de nulle part, dans une embarcation sans eaux ni nourriture et pour simples compagnons les cadavres de ceux qui n’ont pu résister aux affres du voyage. Les rencontres aussi improbables que peu crédibles qui lui tendent la main n’auraient pas choqué s’il s’était s’agit d’une fiction franchement assumée. Les préoccupations de l’immigré en Europe, ses galères, ses combats auraient gagné à plus de maestria dans l’écriture, un vrai parti pris littéraire eut pu sauver ce livre.

« Quand commenceras-tu à nous aider toi aussi ? » Dans chacune de ses phrases, il y a le mot « Western-Union », devenu, dans la mentalité sénégalaise, bien plus qu’un simple moyen de transfert d’argent. Il traduit l’honneur de toute une famille de recevoir d’un proche expatrié les moyens de sa subsistance. En se rendant au bureau de poste, les bénéficiaires des sommes, souvent dérisoires, font mine de percevoir des millions de francs. À se fier à leur habillement scintillant et à leur démarche ponctuée de fierté, on peut se laisser duper. Western-Union est le facteur par excellence de classement des familles. »

Car c’est là que réellement le bât blesse. Que Omar BA ait berné le monde médiatique et de l’édition, avide de clichés et de stéréotypes sur ce que sont censés avoir vécu les immigrants, nous devrions dire "bien joué mec, tu les as eu". Car, réellement, le succès médiatique de ce livre devrait faire honte au monde médiatico-littéraire tellement il n’y a pas grand-chose à sauver. Le "style", sujet-verbe-complément, est digne d’un élève de seconde particulièrement cancre.
Les anecdotes sont contées au pas de course alors que de nombreuses situations auraient mérité plus de profondeur et auraient fait de superbes pans d’un roman épique. Un des cas d’école, la tentative de passage en force de la frontière espagnole en barbelé du côté de Ceuta. Marie NDIAYE l’a mis en scène avec son personnage de Khadi DEMBA dans "Trois femmes puissantes". En lisant Omar BA, on voit le gouffre qui existe entre une vraie romancière et un scribouillard qui a su se jouer des médias.

« Le décor est cauchemardesques. En haut de chaque pied du grillage des caméras balayent la zone sur un diamètre de plusieurs kilomètres. L’ordre de ne pas approcher le grillage est donné à plus de cinq cent mètres au moyen d’un mégaphone tenu par un homme en uniforme perché sur un hélicoptère. J’ignore s’il s’agit d’un appareil marocain ou espagnol mais je sens qu’il se prépare là une casse exceptionnelle. »

Pour ce premier livre d’Omar BA, je plagierais volontiers la sentence de Zacharie ACAFOU, chroniqueur littéraire, en disant qu’il n’y a pas de littérature ici. Le livre n’a eu manifestement, à sa sortie, que le mérite de plaire aux adeptes du cliché et du voyeurisme avec son "histoire vécue" affiché bien haut, mais l’énumération d’anecdotes alignés façon messages télégraphiques, en ayant aucune cohérence dans les dates ou les réalités des lieux traversés... fait simplement un mauvais livre. Un vrai auteur, de talent, aurait pu en faire un vrai roman, une superbe épopée des forçats de l’aventure du 21ème siècle, une fiction assumée et qui néanmoins dénoncerait une certaine réalité. Ici, Omar BA fait juste de l’argent, il a discrédité les vrais aventuriers de l’immigration qui vivent des drames pour un morceau d’espoir, et s’est carapaté au Sénégal pour y faire de la politique en ayant dénoncé "l’Europe malade" de sa voix rendu inaudible de par son forfait.


Soif d’Europe

Omar BA

Éditions du Cygne, 2008